

Alors première question : quelles sont les particularités du risque hémorragique, durant l’anticoagulation d’une MTEV au décours d’un cancer actif ?
Merci pour les félicitations, nous sommes tous très heureux des retours positifs que nous avons pour l’article ! Je pense que le plus important dans notre approche est que nous avons tenu à recentrer la question autours du patient : « Qu’est qui rend un patient souffrant de cancer ayant une MVTE sous anticoagulant plus à risque hémorragiquequ’un autre patient ? ». En se posant la question de cette façon cela force à se pencher, tout d’abord sur les caractéristiques intrinsèques du patient puis sa relation avec son environnement notamment thérapeutique.
Les caractéristiques intrinsèques du patient regroupent sa balance risque thrombotique/ risque hémorragique constitutionnelle propre à ce dernier (âge, situation à risques hémorragiques, insuffisance d’organe…) ainsi que les caractéristiques liées à son cancer (site, type, métastase…). Ces facteurs de risques sont immuables et doivent être recherché de manière systématique.
En association aux deux caractéristiques sus citées, il est important d’ajouter l’influence des traitements anticoagulant d’une part et des traitements anti cancéreux d’autre part. En effet, la sensibilité à certains traitements, ses propriétés pharmacologiques, sa toxicité et ses interactions médicamenteuses influent sur le risque hémorragique.
Si deux aspects sont systématiquement à évaluer chez tout patient ayant une MVTE (sa balance hémorragie/thrombose et son type de traitement anticoagulant) les particularités de notre patient dans cette situation est qu’il est nécessaire de prendre en compte aussi de manière de manière simultanée les caractéristiques liées à son cancer et l’impact de son traitement anticancéreux.

Le risque hémorragique dans ce contexte est il supérieur ou inférieur au risque de récidive de la MTEV ?
Cette question à une réponse variable au cours du temps. D’après la littérature, chez un patient ayant une MTEV ce que l’on sait c’est qu’au moment du diagnostic risque de récidive et risque hémorragique sont égaux. Mais là où le risque de récidive diminue au fil des mois, le risque hémorragique reste constant sous anticoagulant et devient donc supérieur. C’est sur ce raisonnement qu’après la phase initiale de traitement, il est proposé une demi-dose en prévention des récidives de MVTE en population général. La même cinétique est observée chez les patients atteints de cancer. D’où l’idée de l’essai randomisé contrôlé international APICAT du Professeur Isabelle MAHÉ qui j’espère avec la participation active de tous permettra une limitation des expositions évitables à un surrisque hémorragique.
Dans cet article les différents scores de risque hémorragiques sont passés en revue. Pour mémoire il n’existe qu’un score de risque hémorragique Cancer et MTEV associé le score CAT-BLEED. Nous savons toutes et tous que les scores ont des limités ce que souligne la littérature et que le score parfait n’existe pas. Les items des scores sont plus pertinents. Alors quels seraient les paramètres les plus utiles dans la pratique quotidienne pour évaluer le risque hémorragique, en cas de MTEV/Cancer actif ?
Question difficile !La liste des facteurs influençant le risque hémorragique est longue voir fastidieuse pour une pratique en routine. Dans un monde idéal, il faudrait arriver à développer pour la pratique quotidienne une évaluation de la balance risque thrombotique/ risque hémorragiquerespectant la balance bénéficie/risque.
Cela passera potentiellement par l’intégration de nouveaux outils faciles d’emploi comme des biomarqueurs pour évaluer l’ensemble des éléments de l’équation « à quel risque hémorragique nous exposons les patients ? ».
Ce risque hémorragique est différent selon le type de cancer, sa localisation, les traitements du cancer et le traitement anticoagulant. Cette notion est très importante. Sans caricaturer le sujet quels sont les directions majeures à retenir des quatre questions : WHOM ? HOW ? WHAT ? WHEN ?
WHOM ? => Comprendre qu’un patient cancéreux est à plus haut risque hémorragique et thrombotique que la population générale et donc doit être traité à part.
HOW? => Se rappeler qu’il est plus complexe dans sa prise en charge. Nous nous devons de trouver un moyen d’évaluer de manière globale l’addition des facteurs à prendre en compte.
WHAT? => Parler et mesurer la même chose. Nous nous devons de nous appuyer sur les critères tel que défini par l’ISTH pour parler d’hémorragie majeure, ou non majeure mais cliniquement pertinente.
WHEN? => Après 6 mois pour être plus bénéfique qu’à risque. La chose que nous souhaitons le plus en tant que médecin c’est d’abord le primum non nocere, il ne faut pas évaluer le traitement alors que ça non-prescription entrainerait une forte probabilité de décès. C’est après 6 mois de traitement, lorsque le risque de récidive est au plus bas, que l’évaluation prend tout son intérêt.
Compte tenu des bases de données sur cette thématique majeure, est ce que l’Intelligence Artificielle (Machine Learning) pourrait être d’une aide efficace ?
OUI ! L’individualisation ou personnalisation d’un traitement ne peut être que plus efficace via l’Intelligence Artificielle
Merci pour cet article qui pose les bonnes questions. Le réponses ne sont pas toutes au rendez-vous, la question du traitement anticoagulant devrait avancer avec les résultats de l’étude APICAT et d’autres.

L’orage cytokinique qui est présent chez les patients Covid-19 en réanimation, comment est-il un activateur des phénomènes thrombotiques ?
Excellente question. Je crois que l’entrée du virus dans la cellule endothéliale (exposition de facteur tissulaire), la cascade inflammatoire (relâche de cytokines) et l’orage cytokinique (activation du complément) sont tous des activateurs inter-reliés qui contribuent à la formation de thrombine, le dépôt de fibrine et les phénomènes thrombotiques.
A votre avis si la prévention par héparine de bas poids moléculaire est le médicament de la prévention de la maladie thrombo embolique en réanimation au décours de la Covid-19, à quelle dose ? Préventive ? Intermédiaire ? Ou curative ?
Pour l’instant, les données probantes semblent suggérer que les HBPM à dose préventive devraient être utilisées chez les patients en réanimation pour Covid-19. L’essai multi-plateforme randomisé (mRCT) qui a randomisé les patients avec Covid-19 en réanimation entre une dose d’héparine (majorité HBPM) thérapeutique et une dose standard (intermédiaire et préventive) n’a pas démontré de bénéfices sur le critère de jugement primaire de “Organ-support free days ». Les taux d’évènements thrombotiques (artériels et veineux) étaient moins élevés chez les patients recevant des dose thérapeutiques (5.7% vs. 10.3%) mais sans diminution de la morbidité et la mortalité. La prévention primaire à dose thérapeutique est aussi associée à une augmentation du risque hémorragique de 1.3% (définition de l’ISTH). L’étude iranienne INSPIRATION nous donne quelques indices pour décider entre une dose préventive et intermédiaire chez les patients en réanimation. Une dose intermédiaire n’a pas diminué le risque de survenue du critère de jugement principal (thromboses artérielles et veineuses, mortalité et traitement d’oxygénation extracorporelle) mais semble augmenter le risque hémorragique (définition de BARC; 2.5 vs 1.4%). Il y a donc peu de données randomisées en faveur d’une dose thérapeutique ou intermédiaire chez les patients Covid-19 en réanimation.
https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2021.03.10.21252749v1
https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2777829
Pensez-vous que les anticoagulants oraux directs aient une place dans la prévention de la maladie thrombo embolique, chez les patients Covid-19 hospitalisés mais non en réanimation ?
Il y a plusieurs essais en cours et nous aurons peut-être une perspective différente dans les prochaines semaines ou mois. Pour l’instant l’étude ACTION, qui a comparé le rivaroxaban à une dose de 20 mg par jour (patients hospitalisés stables et au long cours (30 jours)) et l’énoxaparine 1 mg/kg BID (patients en réanimation) à une dose préventive (énoxaparine 40 mg par jour) pendant l’hospitalisation, n’a pas démontré de bénéfices mais une augmentation du risque hémorragique. Donc, pour l’instant, je ne crois pas que les anticoagulants oraux directs aient une place mais des études pré- et post-hospitalisation sont en cours et les données pourraient changer notre prise en charge. Il est possible que les héparines (HBPM ou non-fractionnée) puissent avoir d’autres fonctions (ex. diminution de l’entrée du virus, etc.) qui pourraient avoir des bénéfices chez les patients hospitalisés avec Covid-19
Pensez-vous que les D Dimères chez les patients hospitalisés en médecine et ou en réanimation en cas de Covid-10 puissent aider à moduler la gestion de la prévention de la thrombose en ce qui concerne sa posologie ?
Plusieurs études et essais en cours utilisent différents biomarqueurs (incluant les D-dimères) afin de stratifier les patients hospitalisés avec la Covid-19. Donc nous aurons plus d’information dans les prochains mois.
Au début de la pandémie, les niveaux élevés des D-dimères chez les patients hospitalisés semblaient être associés à une coagulopathie spécifique à la Covid-19. Maintenant, nous savons que les D-dimères peuvent être générés dans l’espace alvéolaire. L’écoulement de protéines plasmatiques (afin d’activer les cytokines) contient aussi de la thrombine et du fibrinogène qui éventuellement sera dégradé en D-dimères. Donc les D-dimères pourraient être un facteur pronostique de détérioration pulmonaire (et de mortalité) plutôt que d’un risque thrombo-embolique ou vasculaire.
L’essai mRCT n’a pas rapporté de différences importantes dans les odds-ratio favorisant une dose thérapeutique plutôt qu’une dose standard chez les patients hospitalisés (mais pas en réanimation) qui avaient des D-dimères élevés (2X la limite de la normale) ou non. Les odds ratios pour le critère de jugement principal (voir question 2) étaient de 1.3 (probabilité de 97%) et 1.2 (probabilité de 92%) chez les patients hospitalisés avec la Covid-19 (mais pas en réanimation) avec des D-dimères élevés ou non, respectivement. Donc pour l’instant, les données probantes semblent démontrer que les D-dimères ne sont pas très importants pour moduler la gestion de la thrombose chez les patients hospitalisés avec la Covid-19.
https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2021.05.13.21256846v1
A. Khorana a évoqué dans un article du JTH, qu’il existait des ressemblances entre le Cancer et la Covid-19 en matière de maladie thrombo embolique veineuse, les 2 CC. Qu’en pensez-vous ?
Comme je suis un des auteurs de la publication, je suis un peu biaisé. Le but était de réviser la pathophysiologie de ces deux maladies pro-thrombo emboliques en donnant une perspective différente afin de générer une discussion et un débat. Je crois, en effet, qu’il y a des ressemblances intéressantes. Le risque thrombotique est élevé, les d-dimères sont très élevés et possiblement associé à un mauvais pronostic et la prévention primaire à dose de prophylactique semble insuffisante. Cependant, les différences entre les deux maladies (Cancer et COVID) permettent aussi aux cliniciens de réfléchir à la pathophysiologie sous-jacente et d’établir une prise en charge optimale afin de prévenir la malade thromboembolique chez ces patients. Je vous encourage à lire l’article :
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/jth.15294
Avez-vous été confronté dans votre pratique à des thromboses veineuses classiques, thrombose veineuse profonde des membres, thrombose veineuse superficielle et/ou embolie pulmonaire post vaccination anti Covid-19 et avec quel vaccin ?
C’est une excellente question. Comme la vaccination s’est accélérée dans les derniers mois au Canada, toutes les nouvelles TVP, thromboses superficielles et EP sont diagnostiquées chez des patients ayant récemment reçu la vaccination (Pfizer, Moderna et Astra-Zeneca). Cependant, nous avons eu quelques cas de thromboembolies veineuses dans le contexte de thrombocytopénie thrombotique associée au vaccin Astra-Zeneca. Tous les patients avaient des anticorps anti-PF4 positifs. Les immunoglobulines polyvalentes, les échanges plasmatiques et l’argatroban ont été utilisés avec succès dans la prise en charge de ces patients. Une série de cas Canadiens sera bientôt publiée afin de partager notre expérience clinique. Ce vaccin n’est plus utilisé au Canada et donc, nous avons eu aucun cas dans les dernières semaines.
MERCI
Une penseé pour Cleave Kearon






